
Ses mains ont la parole
Le Journal d’un manœuvre de Thierry Metz /
Thierry Metz était de ces auteurs qui se coltinent le monde tel qu’il est, qui y mettent les mains. Une certaine tradition anglo-saxonne veut qu’il est de bon ton d’avoir été charpentier, routier et tourneur-fraiseur avant que d’être écrivain. Lui était manœuvre, et la matière qu’il en retire est une poésie limpide, traversée d’incroyables images, parfois proche du haïku.
« Qu’importe ce que j’ai trouvé. Du vent et des ombres. Je passais. »
Au fil de l’avancée du chantier auquel il participe, il raconte l’épuisement des corps, la parole rare, « le boulot comme une absence », la chaleur accablante, la satisfaction du travail accompli, le rire aussi parfois. Dans la langue de Thierry Metz, tout se densifie à l’extrême : « Tes gestes ont une âme. ». On pense au Erri De Luca de En haut à gauche, j’y reviendrai bientôt.
J’étais jeune homme quand j’ai lu Le Journal d’un manœuvre pour la première fois. À l’époque, bien qu’étudiant, je faisais régulièrement des petits boulots, manuels le plus souvent. J’ai le souvenir précis d’avoir trouvé là quelque chose de nouveau, différent de tout ce que j’avais pu lire auparavant, un compagnonnage, une fraternité. Un homme travaillait de ses mains et écrivait : « Le soleil est si haut que l’arbre n’est plus qu’une ombre dans la mémoire de l’arbre. » J’étais conquis. Je le suis encore.
Le Journal d’un manœuvre, Thierry Metz, Gallimard (L’Arpenteur), 1990, 128 p., 12,90 € (Disponible également en poche chez Folio, 8,20 €) – Préface de Jean Grosjean