
L’amour fou, demain
À l’heure qu’il sera de Pauline Picot /
Un livre m’a cueilli.
Le plus souvent, c’est moi qui les cueille. Je ne connaissais rien de celui-ci, ni son auteure, ni son éditeur (honte à moi, nous sommes tous deux marseillais !). Cette lecture m’a intrigué, étonné, remué, bousculé. Ce n’est pas si fréquent.
C’est le matin. La femme est éveillée, ou plutôt est-elle en éveil. Elle est une vigie aux aguets. Elle sent sourdre la menace. Elle est voyante, elle est Cassandre, elle est sœur Anne. À ses côtés, l’homme dort encore d’un sommeil lourd.
« Pendant que tu dors, je vais te dire quelque chose… »
Ce sont des promesses, des anticipations, des hallucinations, des divinations, des visions. Le monde de demain est désolé, post-apocalyptique. Les deux amants errent sans fin sur cette terre que j’imagine dépeuplée.
« Nous serons face à une éternité de marche et d’absorption. »
Ils iront à Las Vegas, créeront des couleurs, trouveront des mines d’or, danseront, joueront dans les ruines, auront des mots de passe, feront vraiment l’amour, auront la bouche grise, etc. Les accents sont parfois ceux du Rimbaud d’Une saison en enfer : « Nous serons lyriques et brutaux. » Le propos est surréaliste, poétique en diable, anarchique (anarchiste ?). Cela prend parfois l’allure d’un retour en enfance, on suce son pouce, veut être cajolé, manière de retrouver une pureté perdue.
« Je brûlerai les maisons où tu as souffert… » « Je laverai tes yeux de ce qu’ils ont vu. »
Ce texte est l’incroyable récit du désir d’un amour fou, absolu, viscéral, archaïque. C’est un amour violent : « Je trouverai encore de la rage pour t’aimer. » C’est un amour qui veut tout endurer, tout expérimenter, tout inventer, tout tenter, un amour que tout nourrit. C’est un ogre d’amour, c’est un monstre d’amour.
Tout se mêle, se télescope et se confond dans un maëlstrom vertigineux. Le langage s’y perd : « Nous toucherons tous les objets et dirons leur nom pour ne pas les oublier. » J’en suis ressorti lessivé, lessivé et heureux d’avoir rencontré une écriture singulière aux beautés renversantes, une écriture si forte.
« À l’heure qu’il sera, nous serons trempés dans le fer. »
Pauline Picot, À l’heure qu’il sera, illustré par François Malingrëy, Les Éclairs, 2017, 34 p., 12 €
Livre imprimé en risographie quatre couleurs sur du Munken Pront Cream et entièrement façonné à la main.
« Appelle-moi poésie » Saison 2, épisode 18 – Pauline Picot, À l’heure qu’il sera
http://www.appellemoipoesie.com/videos-saison-2/
Le site de la maison d’édition Les Éclairs
Merci de m’avoir permis de vivre l’expérience que procure la lecture de – à l’heure qu’il sera – PAULINE PICOT
Il était 7h le matin, ces mots, ces phrases ont soudain attisé tous mes sens, pénétrant de concert esprit, corps, mémoire. Passé, futur se télescopaient en un vertige bien présent. Lecture haletante que rien n’aurait pu entraver.
A la dernière ligne mon café était froid, le plan la journée à venir diffus… une seule certitude : je venais de vivre quelque-chose qui m’avait sonnée et nourrie.
Passé quelques jours j’ai relu. Un très beau texte, qui se relit !
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Bonjour.
C’est moi qui vous remercie pour le retour très beau et très fort que vous faites de cette lecture. C’est précisément le genre de rencontre que tentent de provoquer les articles de ce blog. Me permettez-vous de le faire suivre à l’auteure avec qui je suis en contact depuis la publication de l’article ? Cordialement.
Benoît Pichaud
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Benoît, je viens de retrouver mon commentaire et ta réponse. Oui, je veux bien que cette auteure sache qu’elle m’a profondément touchée avec – à l’heure qu’il sera –
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