
La beauté des ruines
Les Trois sœurs de Anton Tchekhov /
Les trois sœurs ne sont pas là. Pas vraiment. Pas tout à fait. Elles chancellent constamment entre un passé idéalisé, celui du temps de Moscou, et un avenir incertain, toujours remis. Le présent leur est étranger.
Le corollaire de cette absence à soi-même est la tristesse qu’elle engendre. On voudrait être ailleurs, autre. Alors pour tromper ce quiproquo existentiel, on se marie, on rêve d’adultère, on travaille, on se fatigue, on est malade. Les personnages qui évoluent autour d’elles leur ressemblent. Eux, boivent, jouent, se battent en duel, meurent ou s’en vont. Reste alors le vide en quoi tout se résorbe.
L’étrange et ambivalent plaisir qui me saisit au spectacle de ces vies échouées est celui que fait naître la visite des monuments en ruine. On imagine ce qui a été, ce qui aurait pu être et qui ne sera sans doute jamais plus, une fatalité douce et amère.
Olga, Macha et Irina sont mélancoliques, nostalgiques et continuent d’espérer. L’âme russe se teinte de saudade portugaise.
Les Trois sœurs, Anton Tchekhov, Actes Sud (Babel), 2002 (Édition revue et corrigée), 160 p., 6,60 € – Drame en quatre actes traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan – Note sur la traduction de Françoise Morvan et Lecture de Georges Banu.